jeudi 21 avril 2016

L'usure du monde



Lundi 13 avril 2015, San Michele, Venise
      
L'île-cimetière où je n'étais jamais allé.  
Dès le débarcadère du vaporetto le pied se pose sur la terre des morts. Pas moyen d'y échapper. Sensation étrange, de l'ordre du piège refermé dont on ne peut s'extraire que par un vaporetto à venir, n'importe lequel, mais qui tardera trop comme de bien entendu.
Je noircis le tableau, mais si peu.
Venir ici, à quoi bon, s'il n'y avait eu la répétition de photographies et de textes de Denis Roche ayant trait à Ezra Pound, qui y est enterré.
Je photographie au hasard, mais le hasard fait certaines choses, quelquefois. La pierre est gravée, je devrais dire l'est encore au moment de la photographie car cette empreinte semble vouée à la disparition. Un réseau de veinules, rhizome sculpté par les eaux de ruissellement. Indéchiffrable sinon qu'il nous prévient que tout cela n'est pas éternel et qu'un beau jour, zou ! toute cette histoire s'évanouira et celles qui vont avec par la même occasion.
Avec ça voilà la lumière qui baisse les bras. La fraîcheur humide de l'eau - partout, de l'eau, de l'eau, de l'eau... - il est temps de quitter les lieux. Aux lavabos des chiottes qui se trouvent à l'entrée du cimetière les ouvriers d'entretien se savonnent en chantant à tue-tête. Cela est donc permis ? Fuck la mort ? Quelques gouttes de pluie mais le vaporetto arrive et c'est forcément la bonne ligne ! 
           
  Mardi 14 avril 2015, Venise
           
Il est écrit dans le livre que je lis aujourd'hui :
"Souviens-toi du pont Trevisan, près du Consulat de France, avec la maison du coin, terrasse glycines et Vierge abritée à l'Enfant, et de la ruelle Trevisan, si étroite qu'on ne peut y marcher que l'un derrière l'autre avec, au bout, la trouée de lumière éblouie sur l'eau et le laurier blanc. Souviens-toi de tout et de rien, on ne saisit rien, passage."
(P. Sollers, La Fête à Venise)
Je ne sais pas si j'aime trop Venise, mais ces mots-là m'empêchent de ne pas l'aimer.
          

1 commentaire :

  1. Dans ce mur dont la peinture s'écaille, je ne peux m'empêcher de voir comme une carte portant la trace d'un continent imaginaire. Comme un écho, en ce lieu, de territoires changeants qui se cherchent, de refuges qui se délitent, de déracinements et d'oubli...

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